Les Sapins 
                  
                  
                   
Les sapins en bonnets pointus 
De longues robes revêtus 
Comme des astrologues 
Saluent leurs frères abattus 
Les bateaux qui sur le Rhin voguent 
                   
Dans les sept arts endoctrinés 
Par les vieux sapins leurs aînés 
Qui sont de grands poètes 
Ils se savent prédestinés 
A briller plus que des planètes 
                   
A briller doucement changés 
En étoiles et enneigés 
Aux Noëls bienheureuses 
Fêtes des sapins ensongés 
Aux longues branches langoureuses 
                   
Les sapins beaux musiciens 
Chantent des noëls anciens 
Au vent des soirs d'automne 
Ou bien graves magiciens 
Incantent le ciel quand il tonne 
                   
                    
                   
Des rangées de blancs chérubins 
Remplacent l'hiver les sapins 
Et balancent leurs ailes 
L'été ce sont de grands rabbins 
Ou bien de vieilles demoiselles 
                   
Sapins médecins divagants 
Ils vont offrant leurs bons onguents 
Quand la montagne accouche 
De temps en temps sous l'ouragan 
Un vieux sapin geint et se couche 
                   
                   
                  Guillaume Apollinaire - Alcools (1913) 
                   
                   
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