| 
                   
                   
                  « Mâche Chatte !… »
                  
                  
                   
                  Conte de Noël inédit par
S. 
                  MAN
TI – SON n’avait, pour  
toute affection au monde que son  
chat, un sacripant de chat, 
tout noir, avec des yeux pers. qui répon- 
dait au surnom folichon de : « Ti - 
Gâçon ». 
                  Lorsque
Ti - Gâçon musardait au 
soleil en faisant le gros dos, sa figure  
quasi - diabolique effrayait les enfants. 
Quand aux grandes personnes, elles  
passaient vite devant lui, en se signant, 
et non sans grommeler :  
                  — Chatt’ ta a pas daute ku an  
zombi !... 
                  On
assurait que Ti-Gâçon avait 
passé (La Fontaine n’avait pas prévu cela) 
un pacte « de non agression » avec les  
rats. Lui ! manger de ce « pain-là ! »… 
Pour qui le prenait-on ? 
                  Ti Gâçon, la plus grande
partie de  
ses journées, dormait, hypocritement 
blotti dans le giron de sa « té – tesse ». 
Il ne se donnait « campo » que lorsque  
son estomac criait famine. Alors !… Oh, 
alors !… Les « coups » qu’il faisait aux  
voisins étaient pendables. Les salles à  
manger, les cuisines, les basses-cours, 
étaient odieusement pillées, rançonnées, 
dévastées. Les « canaris » casseroles, 
marmites dégringolaient, tombaient, se  
brisaient avec un fracas de mitraille. Ti -  
GAÇON, chat – protée était dans toute  
les maisons à la fois ; et les gens ne  
cessaient de hurler ; après lui :  
                  — Mâche chatte !…
par ci. 
— Mâche
chatte !… par là. 
— Mâche
chatte !… fulminait Jacques. 
— Mâche
chatte !… s’époumonait 
Gautier. 
                  
                    
                  Le
cordonnier Polycarpe, grand 
mystificateur devant l’Éternel, résolut 
de donner une « petite leçon » 
de son répertoire, à TI-GAÇON. 
Le bandit lui avait dérobé une superbe 
« bille de petit salé », qu’il conservait, 
suspendue à une ficelle, pour assaisonner 
son « calalou » familial. A l’aide d’une  
sorte de trappe de son invention, un beau 
soir il captura son voleur. « L’exécu- 
tion » eut lieu le lendemain à l’aube. 
Le « traite » ( ?) eut le cou coincé entre  
deux portes ; et, crac ! l’éclair d’une  
lame gilette, voilà, pour la rémission de  
ses innombrables… « péchés ». Ti -  
Gaçon « raccourci », abélardisé » ennu- 
quifié. » 
                  TI
GAÇON, fou de douleur, s’enfuit 
en hurlant des injures à son bourreau ;  
                  — Ouaï-i-ï ! Ça
pa la maniè-è-è-è.. 
pou fè cha-a-a-a-tte.. méchance té-é-é-é !… 
scéléra-a-a-a !… 
                  Le
moindre défaut des chats a t-on 
dit, c’est d’avoir « courte mémoire » Le  
nôtre ne saurait faire mentir la « sagesse »  
des nations ». Huit jours après sa… son 
…aventure, il l’avait, volontiers oubliée, et  
le « mauvais garnement » recommençait 
de plus belle ses voleries chez Poly- 
carpe. Plusieurs fois par nuit, le cordon- 
nier devait se lever, « coco macaque » ou  
« tranchet en main, pour chasser le  
monstre :  
                  — Mâche
chatte !… sacré voleû !… 
tempêtait-il, en colère. A la fin, excédé, il  
fit manœuvrer – encore un coup – sa  
trappe, et retint, à nouveau, prisonnier 
M. TI – GAÇON !  
                  — Coup ta a,
jura-t-il, moin ké fin 
épi race ou !… 
                  
                  
                  Et
il le fit comme il le disait. TI - 
GAÇON était gras à lard. Jeté au fond 
d’un sac de jute, un coup de « forme » 
asséné sur le crâne eut raison de lui. 
Sa petite âme falotte s’en alla, au Paradis 
des bêtes, se confondre avec elles des  
CARTOUCHES ET MANDRINS à quatre 
pattes. 
                  Puis,
il fut dépouillé, débité couché  
dans une marinade d’épices : poivre, 
girofles baies d’Indes, feuille de laurier- 
sauce, sel et piment, un jus d’orange 
sure, un filet de vinaigre, un petit verre  
du meilleur rhum des Antilles ». TI -  
GAÇON prit, au fond de son « cercueil » 
un coui » oblong, l’aspect appétissant 
de quelque authentique « manicou » 
apprêté à la « caraïbe »… 
                  Et, plus jamais dans
le quartier, 
hélas ! ne s’entendra le cri familier » 
                  — Mâche
chatte !.. Foutte !Tonnè !.. 
                  Alors, admirez la
coïncidence ! C’é- 
tait juste le soir du réveillon de Noël et  
comme de juste, le cordonnier Polycarpe 
fit « ses choux gras » du malheureux 
TI – GAÇON, dûment mijoté, à petit feu,  
selon les bonnes règles de la « Parfaite 
Cuisinière bourgeoise ». 
                  Mais,
ce que l’on ne pardonnera 
jamais à Polycarpe, c’est sa duplicité. 
Figurez-vous qu’il eut le front d’offrir à  
la naïve MAN TI-SON une copieuse  
portion de l’affriolante « fricassée », en  
lui disant cyniquement :  
                  — Gouté
mannicou a ! ma comè !.. 
                  La pauvre vieille qui
n’avait pour  
tout réveillon, qu’un chiche pois d’An- 
gole mélé de viande de cochon, rissolée, 
se délecta de cette « rallonge » qui lui  
tombait du ciel. 
                  Au
« pipiri chantant » le lendemain 
matin, elle alla prier Polycarpe à  
prendre, en sa compagnie, le vermouth du  
« Gui l’an neuf ». Elle en profita pour  
le complimenter, en ces termes : 
                  — « Compè !...
Foute mannicou-à té bon !.. 
Moin niché douètt moins ! » 
                  ..Tout en buvant à
petits coups, le  
cordonnier riait sous cape. 
                  Le Clairon, n° 100, mercredi 27 décembre 1939 |