La belle parole du monde
 
                  
                   
Tant de paroles offertes aux mains du monde 
Remaillées aux fleuves souterrains 
De grands chaos nous guettaient en bordure de nos îles 
De grands rêves soulevaient nos vagues 
Et enfouissaient les mots sous les sables du monde 
  
Voici que pleurent  les filaos 
Nous avons passé le seuil des Indes 
Passé le seuil des syllabes inconsolées 
Car nul n’est à l’abri du silence 
Et la vie est toujours un piège qui recommence 
Et ce que nous habitons c’est la pensée du monde 
  
Ivresse des mots 
Malemort des mots 
Nous sonnerons les pluies métisses 
Nous ameuterons la Lézarde 
Car 
Nous sommes un peuple de traces prophétiques 
De paroles dénouées 
De paroles volées au mur de l’horizon 
Et le conte en nous a toujours fait sa ronde 
  
Pays  fêlé et de mers dilatées aux flancs du monde 
Nous en savons l’usage et le boucan de soleil noir 
Le balan du souffrir 
L’allégresse des argiles 
La roche ingouvernable aux portes des rivières 
  
Pays de sel 
Le poète a jeté les dés des secrets 
Tapissé le gouffre de nos lumières 
Et défroissé les midis de la mer 
Naissance des naissances
Le poète fait foule 
Et sa mort justifie le soleil des consciences 
  
Chacun inventera ses mots 
Chacun sondera son propre sel 
Allumera 
Sa propre bougie 
Sa propre étoile
Pour mieux se souvenir que 
Le ciel s’est incliné pour ramasser sa lumière 
  
Mais il nous appartient 
Son rêve nous appartient 
  
Nous garderons l’empreinte du Prince 
Nous avons rendez-vous avec l’informulable 
  
Sa parole 
Est un siècle 
Une jungle en veilleuse 
Ame inquiète du monde 
Un archipel aux yeux d’éclipse 
  
Sa parole 
Tant de soleils déménagés 
Tant d’océans bouclés aux chevilles des racines 
Tant de villes enjambées 
Tant d’étoiles déterrées 
Je parle au nom d’un poète 
D’une écriture totale et totalement indélébile 
  
Et je regarde mûrir l’horizon 
Et je demande l’hospitalité du  Tout-Monde 
Et je plante un acomat 
Et je ceins le rocher du Diamant 
Qui emprunte ton visage à venir 
Cette louange couronnée d’oiseaux marins 
Ce gardien royal inspiré par tes songes 
  
Et dans ce lieu 
Où la pierre se fait flamme 
Dans ce lieu de beauté intraitable 
Je regarde passer l’âme du monde 
La belle parole du monde 
                   
                  Ernest Pépin 
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