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Joyeuses fêtes de  Noël et de Jour de l'An


ENTRE CARAÏBE ET ATLANTIQUE, PORTO RICO CHANTE SA LÉGENDE –

L'île mutante

san-juan

Au-delà de l'emprise étasunienne, derrière les remparts du vieux San Juan, un pays métissé et authentique exprime son exubérance. Mythes fondateurs, colons et pirates... une écrivaine portoricaine raconte son histoire. 

Il faut une heure et demie pour traverser l'île du nord au sud et six heures pour en faire le tour. Bien plus longue que large, cette terre de miel abrite tous les écosystèmes tropicaux possibles et imaginables : des forêts fluviales ou désertiques, pas moins de trois cents plages de sable de toutes sortes, ainsi que quelques villes qui, dès la nuit tombée, proposent nombre d'expositions et autres concerts de musique classique ou de rumbas langoureuses, et ce au moins jusqu'à sept heures... du matin, bien entendu.

Ainsi va la vie sur cette île et ainsi vivent ses habitants, les Boricuas : lentement mais sûrement. Chaque coin de rue est une occasion pour le rire et le plaisir. Mais ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de vous faire la louange d'un quelconque paradis tropical. C'est tout simplement qu'ici, à Boriquén ("Terre du grand dieu", comme les Amérindiens appelaient Porto Rico), nous sommes convaincus depuis déjà bien longtemps que le rire et le plaisir sont d'excellents moyens de survie.

Je suis née sur cette île et j'y ai passé la plus grande partie de ma vie. Je la connais par cœur, comme on connaît le corps d'un vieil amant.

Je connais aussi ses légendes, comme celle qu'inventèrent les Indiens Tainos pour expliquer son apparition sur la mer des Caraïbes. Les anciens racontent qu'il y a fort longtemps, un estropié nommé Caracaracol [Tête d'escargot] avait été exclu de son clan par son père. Il fut contraint de vivre comme une bête, errant dans les maquis qui bordaient les habitations du yucayeque - le peuple. C'est au cours de cet exil forcé qu'il prépara sa vengeance. Il avait décidé de voler le bien le plus précieux de son père, un pot en terre accroché au toit de sa hutte et qui renfermait les os des défunts du clan, son identité et celle de la communauté en somme.

Caracaracol réussit à faire fuir les Tainos, les nitainos (nobles) ainsi que le bohíque (guérisseur) du village. Il rampa alors jusqu'à la hutte de son père, puis saisit un long bout de bois pour décrocher le pot en terre. Il donna un grand coup, le pot fut projeté à terre et se cassa en mille morceaux. A la grande surprise de Caracaracol, il en jaillit de l'eau, encore de l'eau, toujours plus d'eau... Effrayé et rongé de remords, Caracaracol fondit en larmes. Celles-ci se mélangèrent à l'eau qui n'avait cessé de couler du pot, lui donnant un goût de sel. Ainsi naquit la mer des Caraïbes, des larmes amères du remords. La Terre originelle fut engloutie. L'inondation fut telle que les survivants durent apprendre à vivre au sommet des plateaux et des montagnes qui forment les îles que nous connaissons aujourd'hui.

art mural porto rico

Une de ces îles fut appelée Boriquén, mais ce n'est qu'un nom parmi tous ceux qui lui furent attribués. A l'époque de la colonisation espagnole, les conquistadores baptisèrent l'île San Juan Bautista de Puerto Rico [Saint Jean-Baptiste de Porto Rico]. Ce nom cristallise tous les rêves de richesse et de pouvoir qu'elle suscitait. Seulement, en raison de son terrain montagneux, cette île était nettement moins propice à la culture de la canne à sucre que les autres îles caribéennes. Les ressources d'or furent vite épuisées, si bien qu'au bout d'un siècle de colonisation, il fallut faire venir des produits du Yucatán, la richissime colonie de la Nouvelle-Espagne dans le Tenochtitlán (Mexique).

Les ports, eux, ne perdirent jamais de leur attrait grâce à leur emplacement stratégique. Des milliers de corsaires et de mercenaires hollandais, anglais et français, ainsi que des esclaves provenant de différentes ethnies africaines y débarquèrent et s'installèrent ici et là sur l'île. A partir de ce moment, l'île changea maintes fois de nom.

Les descendants des esclaves l'appelèrent Terre de Oyá (la déesse du vent et des ouragans). [Le général] Abercromby et la plupart de ses compatriotes anglais voulurent la baptiser Richport [port riche] lorsqu'ils débarquèrent en avril 1797 sur ses côtes puis l'assiégèrent durant plusieurs semaines. En fin de compte, l'île récupéra son nom initial légèrement modifié : l'île principale fut communément appelée San Juan, et le reste de l'archipel Porto Rico.

Le gouvernement militaire siégeait à San Juan, d'où il veillait sur ses enclaves coloniales. Il fit construire de hautes maisons aux poutres en balata [le bois d'oeuvre le plus précieux de l'île] et recouvertes de chaux, ainsi que plusieurs fortifications militaires. Quelques siècles plus tard l'île n'a rien perdu de son caractère imposant et auguste, notamment grâce aux vestiges de ses remparts et au fort de San Felipe del Morro qui couronne la pointe de la baie de San Juan.

carnaval

De l'autre côté des remparts, s'étendait - et s'étend toujours - un tout autre pays, celui de l'"illégalité". Les us et coutumes de ce pays résultent de la fusion de nombreuses traditions, de sa population issue d'esclaves noirs, de mulâtres et autres métis libérés qui avaient repoussé Abercromby et vivaient de l'élevage du bétail, de petites cultures et surtout de la contrebande. Les ports opulents accueillaient des criminels en cavale, des corsaires et des pirates venant d'Amérique latine ou d'Europe, comme le célèbre pirate juif autrichien Cofresi. Au XIXe siècle, ce dernier avait établi son camp sur les plages du sud-ouest de l'île, dans une région aujourd'hui connue sous le nom de Cabo Rojo [cap Rouge] en raison de la couleur des cheveux du hors-la-loi. Elle s'appelait auparavant Cupperstein, mais on aura compris que sur cette île les noms originaux ne font pas long feu.

A la fin des guerres d'indépendance, la plupart des ports et îles caribéens furent démilitarisés. Sous l'influence des nouvelles nations, la marginalisation disparut peu à peu, se fondant dans l'esprit du peuple pour finalement s'institutionnaliser. Mais Porto Rico n'a pas eu cette opportunité, car l'île n'a jamais été un Etat-nation. La guerre hispano-américaine a empêché un tel changement de se produire puisque, comme Cuba et les Philippines, notre archipel passa sous le contrôle des Etats-Unis. Pour des raisons de stratégie militaire, Cuba et les Philippines obtinrent l'indépendance, mais pas Porto Rico.

Nous étions toujours une colonie, celle d'une autre puissance impérialiste. C'est dans ce contexte que le pays retrouva ses deux visages : d'un côté, celui de la légalité et de l'autre, celui qui échappe au contrôle du gouvernement et de ses institutions.

ryan

Le voyageur ordinaire qui vient séjourner à Porto Rico pour une courte période fait souvent l'amalgame entre les deux. Il passera par exemple quelques jours dans le vieux San Juan, se promènera dans ses paisibles rues pavées. Entre les musées, les statues et les monuments, il constatera la présence de restaurants McDonald's et Burger King, d'hôtels avec des murs en trompe-l'oeil de style Art déco, comme on n'en voit qu'à Miami Beach, puis se demandera : "Mais dans quel pays suis-je ?" pour arriver à la conclusion que Porto Rico n'est guère qu'une extension des Etats-Unis. Peut-être aura-t-il même la malchance d'atterrir dans la discothèque d'un complexe hôtelier d'Isla Verde, une zone touristique fort populaire auprès des dames du New Jersey accro de casinos, et des couples de jeunes mariés du Wisconsin qui viennent y passer leur lune de miel caribéenne. Il finira alors par penser que les Etats-Unis ont complètement englouti Porto Rico. Mais ce voyageur n'aura pas vu le Porto Rico qui se trouve de l'autre côté des remparts.

Ce Porto Rico-là, il faut s'y rendre en voiture et avec un minimum de préparation. Imaginons maintenant que ce voyageur décide de rester dans l'un des hauts lieux touristiques situés sur les plages de l'est de l'île (Río Mar, Palmas del Mar ou l'hôtel Conquistador) et que nous sommes le dernier week-end de juillet. Après avoir passé toute la journée à rôtir sur la plage, il se procure une voiture et emprunte la route principale (la "65 de Infantería") en direction de Loiza. Il arrive à Santiago Apóstol quand les fêtes du village battent leur plein, soit le jour de la fête des enfants, soit le jour de la fête des femmes ou bien le jour de la fête des hommes. Il est entraîné dans une vegigante [mascarade dans laquelle les costumes représentent des personnages ridicules], par une horde de monstres portant des masques en noix de coco, affublés de cornes en feuilles de palmier et brandissant des vessies de vaches gonflées censées chasser les mauvais esprits. Il croisera peut-être un homme à cheval qui le déposera à Mediana Alta où, le soir, les gens se retrouvent pour danser au clair de lune et au rythme des tambours que nous appelons barriles de bomba [barils explosifs].

café

Imaginons sinon que nous sommes le 19 juillet. Notre voyageur emprunte la même route, mais cette fois-ci en direction de Ceiba. Il passe l'après-midi dans le village de Naguabo où il assiste à la procession de la Vierge du Carmel. Il s'agit en fait de la procession de trois vierges différentes : l'une rejoint le port du village par les terres, l'autre arrive à l'embarcadère d'Humacao par canot et la troisième est portée dans les airs jusqu'à l'église.

Notre voyageur pourra ensuite déguster quelques beignets de manioc, du poisson frais et danser à sa guise sur la jetée. Autre scénario : le voyageur vient passer Noël à Porto Rico. Croyez-moi, ici, les fêtes de Noël sont longues : elles commencent le 28 novembre et prennent fin le 17 janvier, lors du dernier week-end des fêtes de San Sebastián, dans le vieux San Juan. Quatre jours de festivité durant lesquels les habitants, les musiciens et autres artistes se retrouvent dans la rue pour danser jusqu'au petit matin. Chaque bar engage un groupe, chaque quartier fait montre de ses merveilles, tout le monde ruisselle de sueur...

Imaginons à présent que vous êtes ce voyageur, un voyageur "marginal" qui n'aime pas séjourner dans les hôtels. Si vous aimez le surf ou les sports de voile, vous n'aurez qu'à louer une petite maison à Rincón. Si vous recherchez soleil et gastronomie, je vous recommande les villas del Mar Haus à Isabela, où chaque habitation est peinte de couleurs gaies et possède un balcon sur lequel vous serez aux premières loges pour assister aux spectaculaires couchers de soleil. Si votre corps réclame du repos, rendez-vous sur l'île de Culebra à bord d'une petite embarcation, louez un canot pour vous rendre à Culebrita, où vous pourrez acheter du poisson frais sur les quais. Libre à vous ensuite de retourner dans votre petite maison, de vous reposer toute la journée sur la plage de Flamenco et de vous préparer un succulent repas. Quel dommage que les Etats-Unis aient fait des plages de l'île de Vieques de véritables dépotoirs militaires et des centres d'entraînement au tir ! Je suis sûre que vous n'avez jamais vu de plages aussi belles que celles de Blue Beach et de Bolivar sur l'île de Vieques.

Le même après-midi, vous pourriez demander à des pêcheurs de l'île de vous emmener en barque jusqu'à l'une des trois lagunes bioluminescentes pour prendre un bain de mer au clair de lune. Immergé dans une eau pleine de créatures phosphorescentes qui brillent comme des lucioles, vous aurez l'impression de nager dans une piscine éclairée au néon ou de vous trouver sur une planète lointaine. Seulement, les pêcheurs continuent d'être arrêtés par les marines au large de ces plages interdites au public.

Il faudra donc attendre que le Porto Rico marginal réussisse à chasser le pouvoir impérial de ses plages. Or, avec la guerre que Bush a déclarée au terrorisme et le courant proaméricain qui gagne le monde occidental en ce moment, il faudra certainement patienter plus longtemps que prévu.

Mayra Santos-Febres El País Ras-le-bol Les manifestations antiaméricaines s'intensifient depuis la reprise, le 10 août dernier, des manoeuvres de la marine étasunienne au large de l'île de Vieques. Sila María Calderón, gouverneur élude Porto Rico (Etat libre associé aux Etats-Unis depuis 1952), exige de George Bush l'arrêt des exercices militaires d'ici à fin mai 2003. Mais cette requête demeure pour le moment sans réponse de la part de la Maison-Blanche.

Les habitants de Vieques sont excédés par soixante ans d'occupation de l'île. Les tirs de missiles ont entravé tout développement économique et touristique. Le comité de décolonisation de l'ONU - qui, par ailleurs, soutient le droit à l'indépendance du pays - a également appuyé la demande de démilitarisation. 

Pingo de Oura

Carnet de route Y aller Au départ de Roissy-Charles-de-Gaulle, Air France et Delta Airlines proposent des vols réguliers pour San Juan. Comptez entre 650 et 1 000 euros l'aller-retour.

Se renseigner Une visite du site <www.puertorico.com> (en anglais et en espagnol) répondra à toutes les questions concernant le climat, les zones touristiques, les festivités... Autres adresses utiles : l'office du tourisme de Porto Rico à Paris (tél. : 01 44 77 88 06) et l'ambassade des Etats-Unis. Pensez à vous munir de dollars américains, monnaie officielle de l'île. Attention à la saison des pluies (et donc des cyclones), qui s'étend de juin à novembre.

*Se déplacer Arrivé à l'aéroport de San Juan, vous trouverez des agences internationales de location de véhicules, ainsi que des taxis et des bus locaux. Pour freiner l'augmentation du parc automobile, la ville dispose d'un efficace réseau de transports publics. La voiture de location vous permettra toutefois de sortir de la ville, à la découverte de lieux encore vierges de l'atteinte des hordes de touristes américains.
Se loger San Juan ainsi que les autres villes qui bordent la côte portoricaine offrent un vaste choix d'hôtels, mais les prix restent élevés. Comptez entre 60 et 250 euros la nuit. Pour les plus aventuriers, les paradores (auberges) vous abriteront à bon marché. Il est préférable de réserver à l'avance les deux premières nuits d'hôtel. 

Serralles Castle, Christmas, Ponce, Puerto Rico

A voir Le vieux San Juan, que l'on peut visiter en quelques heures, vous plongera dans l'époque coloniale espagnole, qui fait la richesse architecturale de la ville. Ses balcons colorés, son dédale de ruelles et ses senteurs de café et de fruits vous émerveilleront. Mais, Porto Rico étant toujours un territoire américain, il vous faudra quitter les remparts des quelques places fortes de la ville pour rencontrer l'âme de Boriquén.

Le tour de l'île ne vous prendra pas plus de six heures. Toutefois, la beauté et la diversité des quelque 300 plages, et la présence sur l'île de la quasi-totalité des écosystèmes tropicaux incitent à prendre son temps. La côte Nord, ouverte sur l'Atlantique, regorge de complexes balnéaires modernes, mais vous trouverez l'exotisme du côté sud, ouvert sur la mer des Caraïbes. Un saut dans la ville historique de Ponce permet, lors d'une incursion dans les terres, de traverser la forêt de Yunque et d'atteindre les grottes de Gamuys. Les plages de Fajardo, au nord-est de l'île, sont le point de départ d'une excursion vers l'île de Culebra (la couleuvre), où les pêcheurs vous emmèneront prendre un bain au clair de lune dans la bioluminescence de l'une des trois lagunes de l'île. Une expérience inoubliable !










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